Relations fraternellesCe qui fonde notre vie et qui berce notre quotidien, ce sont bien les relations entre les personnes.https://www.youtube.com/watch?v=1ORMB7t6seE&list=PLD49859F8FB43F5BFJe n’avais pas cessé de ressasser la défaite inévitable contre le dragon de givre. Mes blessures étaient de toute façon là pour me le rappeler si j’oubliais. Ce fameux combat, où je m’étais à nouveau rendu compte que je n’étais pas invincible, en comptant aussi la fois où j’avais été contraint d’abandonner mon père pour vivre, m’avait ouvert les yeux un peu plus sur le fait que je ne pouvais décidément pas supporter cette sensation d’impuissance totale, cet impression que j’avais atteint mes limites et que je ne pouvais rien faire pour y remédier. Et pourtant, j’avais tellement envie de me battre, d’être fort, de gagner à coup sûr. J’étais borné au point d’accepter n’importe quoi pour remporter toutes mes victoires. Absolument tout.
-Bah dis donc, il faut croire que ça t’as vraiment changé, la mort d’Achille…
Encore cette voix. La même qu’il y a plusieurs jours, voire même plusieurs semaines auparavant, qui résonne dans ma tête et que j’ai réellement l’impression qu’elle vient de dehors. Cependant, cette fois-ci, je suis sûr de l’avoir entendu.
J’ouvris les yeux lentement pour m’habituer au rayon de soleil qui était parvenu à se faufiler dans la petite ouverture de l’entrée de ma tente et me redressai souplement. Mes blessures n’étaient plus si douloureuses qu’il y avait juste quelques minutes, ce qui avait le don d’attiser ma curiosité un peu plus encore.
-Je t’attends dehors… Souffla-t-elle cette fois-ci, le ton de sa voix se faisant de plus en plus reconnaissable.
Je me levai rapidement en me vêtant de mes habits de tissus et de mon armure, tout en ayant préalablement porté à ma ceinture mon épée, luisante d’un éclat argentée, et légèrement brûlante à cause du fait qu’elle était restée involontairement exposée à la lumière.
-Laure, je sais que tu es là cette fois.
https://www.youtube.com/watch?v=gJMCqqp9Bus&list=PLD49859F8FB43F5BFLe soleil m’aveugla un long moment, sans même que je ne puisse distinguer qu’une silhouette féminine au loin. Une fois que mes yeux furent habitués à la lumière, je reconnus aussitôt la personne qui se trouvait devant moi, à quelques mètres seulement. Cette silhouette n’était pas un trompe-œil : Ces vêtements en soie bleu ciel, cette armure quasi-partiellement blindée noire, c’était elle, c’était Laure. Et aussi cette targe circulaire qu’elle portait sans repos, tout comme sa lame parfaitement forgée et aussi droite que la justice elle-même. Elle était là, le heaume de son armure lui servant juste à créer de l’ombre sur son visage innocent aux yeux d’un bleu métallique incroyablement vif et sur ses cheveux coupés très courts bruns. Son nez courbé vers les cieux était aussi parfait que sa bouche fine et si bien dessinée par la nature. Les endroits habillés de tissus bouffants orange à ses bras et à ses cuisses ne faisaient que rendre l’attirail encore plus impressionnant. Elle était bien là, c’était elle. Laure.
-Et bien, ce n’est qu’aujourd’hui que vous daignez pointer votre nez, Madame ? Souris-je.
-C’est Mademoiselle pour toi, Monsieur. Rétorqua-t-elle en pointant sa lame vers mon visage.
Toujours aussi fidèle à son caractère bien trempé, à ce que je pouvais constater. Après tout, elle répondait parfaitement aux critères pour devenir une chevalière, ou une paladine. Je ne voulais pas le reconnaître, mais il était vrai qu’elle m’avait tout de même manqué, même si ce n’était qu’un tout petit peu quand même.
-Encore à roupiller à cette heure ? Franchement, tu es incorrigible. Lança-t-elle, faussement vexante.
Je ne savais pas quoi répondre de plus, j’étais encore trop surpris de la retrouver ici, au campement. C’était comme dans un rêve : inattendu, tant et bien que s’en était inespéré. Et pourtant, c’était bien elle dans son armature brillante au soleil que je fixais sans m’en rendre réellement compte à ce moment-là, face à ma tente.
-Alors c’est vrai, tu vis dans une tente… ? Pauvre de toi. Ça doit vachement te changer du confort dans lequel tu te trouvais avant, n’est-ce pas ? Lança-t-elle, indifférente comme elle avait tendance à le faire quand elle ne savait pas quoi penser de la situation.
-…C’est vrai.
Je baissais probablement dans son estime, à ce moment-là, et aussi à cause des bandages apparents sur les parties nues de mon corps, qu’elle était en train d’analyser de haut en bas.
-Oh je vois que tu t’es bien amoché… Quelle catastrophe ! Monsieur est tombé en courant ? Ricana-t-elle d’une voix toujours aussi puissante, élégante et féminine en même temps.
Je croisai ma lame à la sienne pour la déséquilibrer. Elle réagit assez rapidement pour contrer et reculer de quelques pas, avec une démarche tout aussi élégante qu’elle était parvenue à me le prouver depuis que je la connaissais, tout en suintant l’air de sa lame.
-Affronte-moi, Laure.
-Avec plaisir, pour te remettre dans le droit chemin. Fit-elle, apparemment ravie, bien qu’elle eut gardé son sérieux.
https://www.youtube.com/watch?v=ZjAkolwZXhk&list=PLD49859F8FB43F5BFElle se positionna comme elle le faisait depuis ses premiers pas avec une épée et un bouclier en main, c’est-à-dire la targe couvrant son épaule entière et son bras replié, son arme pointée vers le sol et légèrement mise en arrière. La grâce s’était de nouveau alliée avec le pivotement de ses hanches et de son corps tout entier. Incroyable, c’était tout ce qu’elle était. Même dans cette armure noire à pic géantes elle était capable d’être aussi féminine et belle. Elle hocha simplement la tête pour que le heaume de son casque s’abaisse et couvre la partie supérieure de son crane, ainsi que ses yeux et son nez.
Elle n’attendit même pas que je me mette en position pour passer aussitôt à l’offensive. Elle se jeta sur moi d’un bond comme elle avait l’habitude de le faire pour me prendre au dépourvu. Ces traits, bien que très sérieux et qui pouvaient paraître froid, étaient juste trop facilement identifiables à des actions précises qu’elle exécutait, menée par son caractère de belle jeune femme forte, sérieuse et surtout calme.
J’avais l’habitude, je savais pertinemment qu’elle allait agir ainsi, et le bleu océan de ses yeux, pourvus d’une détermination sans faille afin de m’en mettre plein la vue, ne mentaient pas.
Je parai simplement la charge qu’elle avait engagée avec sa targe parfaitement lustrée sans la moindre souillure ni égratignure du plat de ma lame, en ayant pris soin d’y mettre suffisamment de puissance pour la repousser en arrière. Elle retomba parfaitement sur ses pieds comme si le vent avait simplement été plus fort, en ce temps caniculaire qui ne semblait pas vouloir changer.
-Bien, je vois que tu n’as pas oublié mon style de combat. Fit-elle avec une voix emplie d’une émotion d’encouragement.
-Tu es tellement prévisible que je sais exactement ce que tu comptes faire maintenant. Rétorquai-je sans prendre en compte l’once d’admiration dans sa voix de guerrière féminine.
-Détrompe-toi, je t’assure que je me suis amélioré. Conclut-elle en s’élançant à nouveau vers moi, la lame désormais pointée vers l’avant.
J’évitai simplement la lame en pivotant sur le côté, et attendit patiemment durant une fraction de secondes qu’elle arrive à ma hauteur pour frapper. Lorsque je voulus porter un coup avec le manche de mon épée, elle se tourna légèrement pour pouvoir se protéger avec la targe et me repoussa en se redressant brusquement tout en me projetant avec son bouclier et ses deux bras puissants. Elle se lança à nouveau sur moi en tentant différentes taillades, bien que je parvenais toujours à esquiver sans la moindre difficultés apparente. C’est alors qu’elle s’accroupit pour exécuter une taillade circulaire. Pris de surprise, j’esquivai toutefois avec une agilité remarquable. Elle l’était à cause des blessures dont j’étais encore victime à tout les niveaux, bien que je ne sentais plus la douleur. C’est comme si sa présence avait soigné tout mes maux. Et ce n’était loin de là une mage.
Je sautai brièvement pour atterrir sur sa lame qu’elle laissa retomber sous mon poids et tentai de la repousser gentiment avec mon pied, mais elle n’avait aucune pitié et avait profité de mon moment de faiblesse pour me tirer le pied et me renverser sur le dos. Elle rattrapa rapidement son épée et la pointa à mon cou, mais je ne voulais pas en finir là.
Je repoussai sa lame de mon gant en cuir et l’expulsai ensuite de mes deux pieds pour qu’elle soit déséquilibrée. Chose faite, je me rattrapai sur les deux mains et, poussé par l’élan que m’avait octroyé l’expulsion de la jeune demoiselle, en profitai pour me relever d’une simple roue arrière. J’allai chercher rapidement mon épée lâchée lorsque, par mégarde, je fus pris au dépourvu et mis à terre et m’élançai à mon tour sur elle. Elle para ma lame en tenant fermement son épée de ses deux mains et en abandonnant sa targe au sol. Je tentai une frappe horizontale, elle esquiva souplement en se pliant par la même occasion pour éviter le coup, bien qu’assez proche pour me narguer en même temps. Elle opta, elle, pour une taillade verticale, et je parvins, bien qu’avec aucune aisance, à me jeter en arrière pour éviter de me faire toucher. Elle continua à fendre l’air de sa lame en exécutant les mêmes coups demi-circulaires et verticaux qu’elle reproduisait avec toujours plus d’effort à chacun des coups en marchant, coups que je parvenais avec encore moins de facilité à esquiver que les premiers, bien qu’en reproduisant exactement la même chose à chaque fois, ce qui avait le don de l’agacer. J’étais trop rapide et effectuait simultanément la même esquive, et le grincement de ses dents bien plus que perçant ne faisait que me confirmer la piste dans laquelle j’étais.
-Arrête, tu n’as aucune originalité, aucun style, c’est lamentable !
Je ne savais pas si elle était agacée de me voir effectuer la même esquive ou si ça la rendait folle de ne pas pouvoir me toucher ainsi, mais cela ravivait chez moi une flamme de joie qui ne s’était plus jamais rallumée depuis un bon bout de temps. Finalement, je me lançai sur elle et me laissai toucher volontairement, le fer de sa lame croisant mon plastron et exécutant un tintement métallique très peu bruyant. Je n’étais plus qu’à quelques centimètres d’elle, de son corps, quand je lui murmurai sur le flanc de son heaume :
-Ça y est, tu m’as eu.
https://www.youtube.com/watch?v=KSFLMsWnaNM-Tu t’es laissé faire ! S’énerva-t-elle en enlevant son heaume. Tu es vraiment pire que pathétique. Si j’avais été ton ennemi tu serais…
Elle stoppa nettement les reproches lorsqu’elle se rendit compte que j’empiétais volontairement dans son espace personnel. Et pourtant, elle ne semblait pas vouloir s’en aller pour prendre un peu d’écart entre nous. Elle se contentait de rester bouche-bée sans ne plus dire le moindre mot durant des secondes, voire même des minutes qui ne semblait pas vouloir défiler. Quant à moi, j’attendais qu’elle dise quelque chose, mais rien. Trop surprise par le geste que je venais d’entreprendre et que je menai à bien, poussé par mon instinct et mon cœur, sans penser aux conséquences que cela pouvait déclencher par la suite. Je me rapprochai lentement de son visage en lui recoiffant ses cheveux soyeux et courts, coupés jusqu’à la nuque, pour ne pas qu’ils ne la dérangent lors d’un combat, m’avait-elle dit un jour. Les cheveux longs lui allaient bien, mais les cheveux courts rendaient les traits de son visage encore plus favorables qu’ils l’étaient déjà bien trop. Trop belle, trop forte. C’était Laure.
-Tu m’as manqué, tu sais... Fis-je en souriant légèrement, sans exagération.
Elle ne semblait toujours pas décidée à parler. Elle qui était pourtant si forte mentalement, on avait l’impression que j’avais touché un très gros point faible, si pas le seul et l’unique qu’elle possédait : l’amour.
-Tu sais, ça m’a fait mal de ne pas avoir eu de nouvelles de toi pendant longtemps. Continuai-je en jouant avec une de ses mèches de cheveux sans qu’elle ne réagisse pour autant. Ça m’a rendu… Triste.
Elle était tellement belle et attirante que je ne comprenais pas ce qui m’empêchait de ne pas l’embrasser, là, tout de suite. Et pourtant, je patientais encore sans savoir pourquoi, en faisant durer une tension qui planait dans l’air. Une tension plutôt… Agréable, je l’admettais.
-Tu me manques Laure… Fis-je en me rendant enfin compte.
https://www.youtube.com/watch?v=JHdHAzl3_MkRien qu’un rêve. Ce n’était encore une fois qu’une simple illusion. Elle avait disparu sous forme de grains de poussières grossièrement dessinés par mon esprit, et s’échappait désormais vers le ciel vaste du monde. J’avais l’impression que la pluie tombait à peine, alors que les nuages étaient sans doute en train de pleurer depuis un bon bout de temps, vu l’état de mes vêtements et de mon corps. Mes bandages semblaient se détacher peu à peu de ma peau et devenaient désormais inutiles. La douleur revenait, elle était omniprésente sur mon corps. Je m’effondrai à terre, la douleur était trop forte.
Ce rêve n’avait été qu’une illusion pour me redonner goût à la vie pendant quelques secondes. Et pourtant, il avait semblé si réel. Soit mon imagination débordante faisait des siennes, soit je devenais complètement fou. Je me redressai et m’agenouillai sur le sol herbeux et désormais marécageux de la plaine, tout en pleurant à nouveau. Oui, je pleurais. La douleur émotionnelle était trop forte. Stupides rêves qui ne faisaient que me rappeler le bon temps, stupides révélations de mon imagination qui ne faisaient que me rendre un peu plus triste chaque jour, et me poussait au gouffre de l’envie de suicide jusqu’à m’y attirer comme si c’était la seule voie possible. Après tout, je n’étais pas assez fort, est-ce que je méritais réellement de continuer à vivre ? Est-ce que j’étais le frère admirable que ma sœur voyait à travers ses yeux d’un brun clair et empli d’espoir et de joie ?
https://www.youtube.com/watch?v=Es91CfyfwB4-Enzo, qu’est-ce que tu fais là ? Lança la voix d’une enfant.
La silhouette s’élança vers moi, sous la pluie tombante, sous l’hécatombe de la tristesse. Elle enleva sa cape encapuchonnée pour couvrir mon torse nu et recouvert de bandages complètement inefficaces et de plaies à peine cicatrisées.
-Tu vas attraper froid si tu restes là ! Allez, viens, je t’emmène à l’intérieur de ta tente, il ne faut pas que tu restes ici !
-Evangelyne… Soufflai-je lentement, syllabes par syllabes.
Elle semblait interloquée par ma présence en ces lieux, à l’extérieur. Probablement parce qu’elle me pensait encore trop faible pour marcher ou quoique se soit.
Et d’un coup… Je m’endormis, sans réellement en avoir conscience, sans avoir eu le temps de penser à quoique se soit, ou de faire quelque chose.
J’ai besoin de savoir, qu’est-ce que tu penses… De moi ?
…
Et bien… Tu es mon frère, Aymeric. Je t’aime, tu es ma seule famille. Tu es tout ce qui compte désormais à mes yeux. Je ferais tout pour que tu restes en vie, absolument tout.
https://www.youtube.com/watch?v=_4OYnW4quQUJe me réveillai aussitôt après avoir été emporté dans un sommeil qui ne dura que quelques secondes pour moi. J’étais dans ma tente, chaleureusement entouré par les couvertures, la lumière étant cette fois-ci parfaitement dissimulée au niveau de l’entrée. Evangelyne était passée par là.
Je me redressai et contemplai plus précisément le résultat de sa présence. Tout mes bandages avaient été remplacés et étaient parfaitement serrés pour qu’ils ne me fassent pas souffrir et qu’ils soient efficaces. Les douleurs étaient minimes, désormais.
Je pouvais sentir l’odeur parfumée d’une soupe fumante au coin de ma résidence assez peu commode. Était-ce aussi Evangelyne qui l’avait préparée pour moi ? Elle faisait plus attention à moi que moi à elle, s’en était d’ailleurs pathétique. Toutes ces petites attentions me rendaient encore plus nul que je le pensais déjà. J’étais un crétin de frère qui ne savait rien faire d’autre que de se reposer sur les épaules de sa sœur, sans savoir la défendre ni même lui dire ce qu’il pense.
J’attrapai le bol en céramique complètement dénué de motifs, n’ayant que la pâle couleur blanche pour couvrir l’effet terne de la coupe, et avalai plusieurs gorgées, non sans me brûler la langue et le reste de mon système digestif. Toutefois, elle était succulente.
Après plusieurs gorgées de cette soupe orangée, Evangelyne apparut discrètement dans ma tente, bien que ce fût surement dû au fait qu’elle me pensait encore endormi.
-Tu m’as fait peur… Fit-elle en sursautant.
-C’est ma tente, j’avoue ne pas trop comprendre ta réaction… Lançai-je en souriant légèrement.
Elle répondit en exécutant la même expression sincère et attrapa une pile de papyrus tout en se jetant sur le ventre au sol pour voir de quoi il en décousait.
-Evangelyne, qu’est-ce que tu… ?
-Je m’occupe de ta paperasse. Lança-t-elle en attrapant une plume et de l’encre. Après tout tu es trop mal en point pour régler ça…
-Eva, non… Arrête, tu exagères là.
Je tentai d’attraper le tas de papyrus jaune, mais elle m’en empêcha en s’éloignant un peu plus de moi d’une roulade.
-Aymeric, laisse-moi t’aider ! Lança-t-elle agacée, en continuant de répondre aux différents documents.
-Ce n’est pas à toi de faire ça, Evangelyne ! M’énervai-je. Je refuse que tu exécutes ce genre de tâches ingrates, surtout si ça m’appartient !
Elle relâcha aussitôt la pile, finalement convaincue bien que mécontente que je réagisse de la sorte.
-Je peux t’aider et tu refuses mon aide, tu verras quand tu auras besoin de moi et que je ne serais pas là pour t’aider !
-C’est juste que je ne peux pas dépendre de toi tout le temps, Eva, c’est…
Elle me tourna le dos et s’en alla sans même que je puisse terminer ma phrase. Je frappai du poing sur la couverture rembourrée tout en soupirant et en me rejetant sur le coussin. Je n’avais même pas eu l’occasion de la remercier pour sa soupe délicieuse et ses soins parfaits. Elle me prenait probablement pour un frère injuste, ou trop peu reconnaissant.
-Quel imbécile je fais… Me lançai-je à moi-même, en regrettant mon acte agressif.
https://www.youtube.com/watch?v=TEF8OgVauBMJe devrais profiter des bons moments avec elle. Je ne voulais pas qu’elle devienne mon esclave ou même celle qui supporte tout mes fardeaux. Je ne voulais pas, c’était intolérable. Mais c’était parce que je l’aimais que je faisais ça, même si je ne m’y prenais probablement pas de la bonne manière. Fallait que je me rattrape, et tout de suite.
Je me relevai rapidement en retenant la blessure la plus douloureuse et la plus impressionnante, qui était encore parvenue à saigner lorsque je m’étais retrouvé dehors hier soir. Aujourd’hui ça n’était, fort heureusement pour moi, plus qu’une simple petite démangeaison de rien du tout, mais le bandage rempli de sang pouvait porter la confusion. Je sortis de la tente juste après avoir enfilé rapidement mes bottines de cuir, n’ayant même pas pris le temps de vêtir mon torse. Lorsque je me trouvais à l’extérieur je pus me rendre compte qu’Evangelyne n’était déjà plus là pour que je puisse la rattraper. Ça ne faisait rien, je n’avais plus qu’à la chercher, elle n’avait pas pu aller bien loin.
Par chance, Sterna passait justement par là. C’était une jeune archère hybride mi-elfe mi-humaine, aux cheveux d’un noir profond et au regard d’acier. Elle était vraiment belle, et j’avais déjà pu entendre ses prouesses au combat dans tout le campement. Elle promettait d’être une recrue fortement appréciée de tous, c’était sûr, et appréciée par moi-même en premier, même si je n’avais pas bien pu lui échanger de grandes choses la dernière fois.
-Bonjour, Sterna. Lançai-je au loin, assez fort mais de manière suffisamment calme pour ne pas l’effrayer.
Un bref salut de la main fut échangé, juste après qu’elle eut remarqué ma blessure encore rouge sur mon ventre, ce qui avait peut être porté la confusion sur ma santé physique, bien que ce n’était pas vraiment mon intention. Et puis je ne souffrais plus tellement, tout allait bien. C’était probablement dû à cette analyse sur mon ventre que ses salutations furent traînantes, ce qui ne changea nullement l’opinion positive que je me faisais d’elle.
-Dis moi, aurais-tu vu ou croisé ma sœur, Evangelyne ?
Elle réfléchit un moment, probablement pour se rappeler de qui est-ce que j’étais en train de parler. Après tout, tout le monde ne connaissait pas les liens qui m’unissaient à cette petite blonde optimiste avec une gaieté de vie inébranlable. Finalement, elle haussa les épaules tout en répondant :
-Non, mais j’ai été beaucoup dans le verger pour m’entraîner ces derniers jours, donc j’ai pu l’avoir manqué.
Cela répondait à ma question, même si ça ne m’avançait pas vraiment dans ma recherche. Au moins, j’avais pu lui adresser la parole et garder le contact, c’était toujours ça de gagné.
-Merci quand même. Lançai-je en repartant alors derrière elle.
-C’est tout naturel, bien que je ne crois pas avoir vraiment aidé.
-Cela ne fait rien, je finirais bien par la retrouver. Bonne journée.
Je m’en allai ensuite vers la direction vers laquelle je me dirigeais naturellement depuis tout à l’heure, bien que je n’avais pas la moindre idée d’où est-ce que je pourrais entamer mes recherches.
-Les blessures au ventre cicatrisent mieux quand on reste couché. Conclut-elle en s’en allant elle aussi.
-Je m’en rappellerais. Souris-je, bien qu’elle ne pouvait pas voir mon visage, même si cela pouvait se deviner au son de ma voix.
J’arrivai au bout de la ruelle rapidement et ne prit pas même le temps d’observer qui arrivait par celle-ci que je bousculai plutôt violemment un individu de corpulence masculine. Celle-ci m’attrapa aussitôt par le bras, bien que le geste manquait tout autant de vigueur que de précision. Mais même si l’empoignement n’était pas bien puissant, il avait été suffisant pour me rappeler une de mes douleurs au bras, bien que je n’avais pas spécialement bronché physiquement pour pouvoir contenir la douleur.
Je relevai la tête et me rendit compte qu’il ne s’agissait que d’Aesir. Et dire que j’étais prêt à m’emporter… Lorsqu’il me regarda lui aussi droit dans les yeux, en se rendant compte que c’était bien le chef de la compagnie qu’il avait attrapé par réflexe, il me relâcha aussitôt en me lançant un regard empli de culpabilité.
-Pas de souci, c’est ma faute. Lançai-je en levant les mains. Dis-moi, tu n’aurais pas vu ma sœur, par hasard ?
-Je l’ai bien aperçu, mais bien plus tôt dans la matinée. Répondit-il d’un ton calme et soudainement respectueux.
Il remarqua ensuite ma blessure au ventre, lui aussi. J’aurais dû enfiler n’importe quel haut, ça aurait suffi à dissimuler ces vilains bandages souillés par mon sang. Mais je n’avais pas le temps, et Aesir ne m’aidait pas vraiment non plus. Enfin, cela m’avait permis de le voir quelques instants.
Je me rendis compte qu’il s’était subitement mis à analyser mes expressions faciales, probablement en train de chercher de quelconques informations sur mon état de santé, bien que rien n’était sûr. Ça m’avait flatté, dans un certain sens, bien qu’il aurait très bien pu me le demander oralement sans devoir chercher dans mes expressions. Mais après tout, il n’était pas très bavard non plus. Je souris pour lui indiquer que tout allait bien, ou pour essayer, tout du moins.
-Et comment vont tes blessures ? Demandai-je en insistant suffisamment pour lui expliquer abstraitement que j’avais compris son message, ou que je pensais avoir compris, tout du moins.
-Je guéris. Cependant je ne serais pas en état de me battre avant un bon moment…
Il avait vraiment pris cher contre le Suma’Ha qui était venu pour Veheniem et moi. Si j’avais su je m’en serais chargé personnellement, tout comme la sorcière qui avait ravagé le campement. Si j’avais su, ou plutôt si j’avais été réveillé ou présent à ce moment-là, je me serais chargé personnellement de ces deux cas. Heureusement, Veheniem et Sterna avaient pu atteindre le campement assez rapidement pour régler la situation, et Magostera s’était passé de sa nuit de sommeil pour s’occuper du Suma’Ha. Je leur étais plus que reconnaissant, même si je n’aimais pas qu’ils soient au courant ou que je sois aussi admiratif. Mieux valait conserver l’image d’homme sérieux, même si elle avait probablement été brisée au moment où j’avais été vaincu lamentablement par le dragon de glace.
-Merci de ta sollicitude, mais garde-la pour ceux qui en ont besoin.
Les mots avaient été aussi respectueux et calme que les précédents, mais j’avais quand ressenti une sorte de malaise, bien que ce n’était probablement pas son intention. Après tout, je savais bien qu’il n’aimait pas trop les humains, pire encore qu’il avait peut être du mal à dialoguer avec eux. Ou alors c’était moi qui prenais mal la chose, ce qui était tout aussi probable.
-Je te souhaite tout de même un prompt rétablissement. Et merci quand même.
Je m’en allai ensuite, tout en sachant qu’il avait marmonné quelque chose, bien que je n’avais pas entendu ce qu’il avait prononcé. Mais je n’y avais pas bien prêté attention, j’étais trop focalisé sur Evangelyne. Il fallait que je la retrouve, tout de suite.
Je continuai la ruelle pour arriver à un autre embranchement : Soit je me dirige vers l’extérieur, soit vers le centre-ville. Aucune raison pour qu’elle se soit précipitée vers d’autres personnes dans un état qui ne lui ressemblait pas. Elle était probablement partie cacher son mécontentement. Je poursuivis sur la route menant directement à la sortie. J’avais bien ma petite idée de l’endroit où elle pouvait s’être isolée. C’était même très fort probable que je la retrouve là-bas. Et après plusieurs minutes de marche en direction de la colline, mes doutes furent rapidement confirmés.
https://www.youtube.com/watch?v=NtKCaptsQoYEvangelyne s’était retrouvée devant la tombe de papa, en train de rejeter des cailloux avec ses pieds en frappant assez violemment pour indiquer aux curieux qu’elle était énervée. Il en fallait vraiment peu pour qu’elle soit brisée ainsi, mais elle n’allait pas tarder à retrouver son état normal. Je me souvenais que ces petites périodes de mécontentement passaient très vite, c’était même éphémère tellement c’était rapide.
-Eva… Lançai-je tout en retenant son épaule de ma main, bien que très peu serrée pour ne pas la contrarier.
-Laisse-moi. Tu ne veux jamais que je t’aide, alors pourquoi est-ce que tu montres encore de l’intérêt ? Si je ne peux pas t’aider, c’est que je ne suis pas assez intéressante.
Elle enleva ma main froidement de mon épaule et réajusta sa robe bleue ciel, virevoltante au mouvement du vent vers l’Est, et ses cheveux, d’un blond presque doré et retombant jusqu’au bas de sa nuque, exécutant le même mouvement.
-Tu dis n’importe quoi. Rétorquai-je doucement. Tu sais très bien que ce n’est pas pour ça que je ne veux pas que tu m’aides.
Elle se retourna enfin vers moi, avec une mine toujours aussi dégoûtée d’avoir été juste avant remballée.
-Alors, c’est quoi le problème ? Tu veux toujours tout régler, tu ne veux jamais dépendre de moi ! Je veux juste me rendre utile, tu sais tout aussi bien que moi que tu ne peux pas régler ça tout seul, il te faut quelqu’un pour t’aider ! Et moi je suis là, Aymeric.
Elle s’accroupit ensuite au niveau de la tombe de notre père en croisant les bras sur ses genoux mis à nus à cause de la robe trop courte. Je m’abaissai à mon tour en repassant mon bras sur son épaule.
-Ouais, je sais, j’aurais pas dû te remballer comme ça, désolé…
Elle souffla longuement en regardant dans le vide, comme si elle avait accepté mes excuses, bien que difficilement.
-C’est rien. Après tout, on s’en fiche, c’est toi qui va crouler sous le travail. Lança-t-elle avec une pointe d’humour.
-C’est ça, fous-toi de moi maintenant. Souris-je simplement, comme pour oublier tout ce qui venait de se passer.
Elle a toujours dit qu’elle était là pour moi, mais je n’aimais pas dépendre d’une enfant, ou même me reposer sur elle, mais après tout, elle n’était pas comme les autres, elle était comme plus… mature. C’était dire si elle savait probablement mieux gérer le campement que moi-même.
-Au fait, j’ai un truc à te dire… Lançai-je faiblement.
Je voulais lui parler d’hier soir. Ma vision de Laure, de ce « rêve » ou de cette illusion. Je ne savais pas trop ce que c’était, et j’avais bien envie de comprendre pourquoi est-ce qu’elle commençait peu à peu à réapparaître en tant qu’illusion.
-Je t’écoute. Lança Evangelyne en reprenant sur un ton curieux mais pacifique.
-Il m’est arrivé, ces temps-ci, quelque chose d’un peu étrange… J’ai… Entendu une voix. La voix d’une personne que je connaissais avant, et que je fréquentais beaucoup. Je l’ai entendue, mais je l’ai aussi vue, Eva, et ça m’inquiète vraiment. Tu saurais d’où est-ce que ça pourrait venir ?
Elle réfléchit un court moment en levant les yeux au ciel, comme si elle attendait qu’une idée ou un soupçon d’explication lui tombe dessus.
-Je n’en ai pas la moindre idée, Aymeric. Mais si tu veux je mènerais mon enquête.
-Merci Eva, c’est gentil.
Si Evangelyne trouvait quelque chose, un remède contre ces illusions, et une explication plausible, je serais libéré d’un lourd fardeau qui me pèse chaque jour sans que je ne puisse faire quoique se soit, si ce n’est y penser et ressasser les événements toute la journée, jusqu’à ce que ça recommence à nouveau. Ça me pesais tellement que j’en devenais fou. Pas d’explications, pas de remède, je ne saurais juste pas comment continuer à vivre. Mais de toute façon, je n’allais pas baisser les bras aussi facilement, je comptais bien me relever de cette période de ma vie qui descendait en pente forte. Je comptais bien aller de l’avant, et si jamais il n’y avait aucune raison à toutes ces illusions, je n’aurais plus qu’à oublier, ou en tout cas à essayer, et à faire avec. Après tout, personne n’était parfait.
-Au fait, ta soupe était délicieuse. Il faudrait que tu me passes la recette.
-Il ne vaut mieux pas que tu saches ce qu’il y a dedans, je t’assure.