Cela faisait quelques jours qu'Aesir avait obtenu ses nouveaux pouvoirs et, même sans changer de forme, il se sentait incroyablement plus énergique. Il ne dormait que très peu et se sentait pleinement en forme. Ses sens aiguisés étaient parfois douloureux mais il s'y habituait peu à peu... En revanche, son état physique ne collait pas vraiment avec son mental. Les derniers événements s'avéraient peser particulièrement sur son esprit. A vrai dire les tortures successives d'Yrys et le stress provoqué par ses combats avec des monstres de puissances l'avaient épuisé plus que n'importe quel combat.

Je me sens si las... Trop de combats en trop peu de temps. Mais je suis si plein d'énergie que dormir n'est même plus une possibilité. Je saute en bas de mon arbre et me dirige a pas vifs vers le campement. Le terrain d'entraînement est une possibilité, mais j'aspire au calme. Peut-être qu'en écoutant un peu les passants du camps j'entendrais parler d'un endroit intéressant qui me permette une certaine intimité.

La fête commençait à se préparer et le campement n'était pas l'endroit le plus propice à la relaxation pour le moment, du moins pas celle à laquelle aspirait Aesir. En s'éloignant de la foule, Aesir tomba sur une caravane de marchands revenant des plaines. Ils rayonnaient tous de bonheur et une grande majorité d'entre eux étaient recouverts de neige. L'un d'entre, un homme brun d'une quarantaine d'année, s’esclaffa joyeusement prenant à parti l'un de ses compagnon alors que le guerrier passait à coté d'eux.

"Cet endroit est fantastique ! Il faudra y retourner avant que nous repartions.
-Tu as bien raison !"

Ils continuèrent d'avancer, s'éloignant d'Aesir en continuant de rire bruyamment. Visiblement ils s'étaient bien amusé quelque part non loin d'ici. La poudre blanche sur leurs vêtements en revanche était profondément atypique...

De la neige ? Alors que l'été touche à sa fin ? Ce n'est pas naturel. Mais leur joie et leurs mots me font entendre qu'ils ont trouvé ce que je cherche. Je me dirige vers eux et les interpelle, ignorant ma répulsion pour leur adressez la parole.

- Ou êtes vous allés pour vous retrouver ainsi couvert de neige ? Ce n'est pas vraiment la saison...

Un peu surpris par l'apparence et l'aura d'Aesir, les marchand acceptèrent néanmoins de lui répondre, ravis de partager leur secret. Après quelques minutes d'explications détaillées, le guerrier se mit en route. Perdu au milieu de la forêt, le trouver purement par hasard tenait véritablement du miracle. Néanmoins, une fois sur la voie, le guerrier, guidé par un instinct particulièrement aiguisé, il ne fut pas dur de dénoter de nombreux indices comme les courants d'air froids ou une forme de végétation plus adaptée aux toundras qu'aux forêt du nord. Au bout d'une heure de marche approximative, Aesir parvint à sa destination. L'endroit semblait avoir été arraché à un lieu totalement différent. Seuls quelques conifères survivaient ici et là et une fine plaque de givre craquait sous les pas du guerrier. Plus impressionnante encore, un large bassin d'eau fumante trônait au milieu de cette singularité entre deux dune de neige poudreuse. La neige d'ailleurs tombait mollement sur les épaule d'Aesir, ni particulièrement froide ni agressive. L'endroit tout entier exhalait une aura de paix et de quiétude presque surnaturelle. Peut être était-ce l'instinct d'Aesir, ou une forme de magie complexe, mais il était convaincu que ce lieu était sûr. C'était un sanctuaire. Delà à expliquer comment il était apparu en revanche...

Quel étrange lieu... Une source chaude dans un lieu enneigé, nichée au cœur de l'été qui s'achève. Comment ce lieu a t-il pu se former ? De la magie, sans nul doute. Néanmoins, je sens que cet endroit est celui que je cherchais. Un lieu de calme, ou me débarrasser de toute cette tension. Rechercher la source de cette mystérieuse anomalie passe au second plan pour moi. Je me débarrasse de mon vêtement et rentre dans l'eau chaude, poussant un net soupir de contentement en me laissant glisser dedans. Si un homme est à l'origine de ce lieu, il devait chercher un lieu de paix et de ressourcement.

Après plusieurs minutes passés dans l'eau. Aesir ferma machinalement les yeux. Toute la fatigue mentale et musculaire accumulée ces dernières semaines s'évanouie peu à peu, comme aspirée au fond du bassin... Une forme de sérénité profonde l’envahit alors. Le monde cessa de tourner un instant alors que les courants chauds enlaçaient ses membres épuisés et que les flocons de neige lui retombaient doucement sur le visage. Le silence de ce lieu lui fit oublier ce qui le tourmentait. Sa marque, sa nouvelle forme, Yrys et sa famille, le campement... Tout cela ne comptait plus à cet instant... 



Plusieurs heures s'écoulèrent ainsi sans que la moindre âme daigne le déranger. Le sentiment de paix intérieure l’enchaînait presque au bassin... Bientôt le Soleil fit place à la Lune sans que la neige cesse un seul instant. La lumière argentée de la pleine lune approchait peu à peu du centre. Il n'y avait aucun bruit. La douce chaleur continuait d'hypnotiser Aesir, l'enivrant de douceur et semblant combler un désir qu'il ne pensait pas avoir... Ce lieu avait quelque chose de surnaturel, et cela ne venait définitivement pas uniquement du climat. Quelque chose le retenait, retenait son esprit ici, mais cela n'avait rien de brutal ou de désagréable. C'était une promesse, une promesse de paix tant qu'il accepterait de rester.

Je commence à dodeliner la tête, envahis d'une idée bizarre. Rester ici. Ne plus avoir à lutter, à souffrir. Ne plus avoir une quelconque obligation envers quiconque. Séduisant, c'est vrai. Ce lieu de paix et de calme me plonge dans une profonde langueur. Une petite étincelle en moi se rebella, consciente que ceci n'était pas normal. Mais elle brillait de moins en moins, étouffée sous une douce chaleur, et par la beauté ensorcelante de la neige qui tombait. Pour un peu, je m'endormirais dans ce bassin...

Aesir fermait lentement les yeux, le visage détendu et serein. Et baissa complètement ses défenses. Toutes ses défenses. Une vague de puissances jaillit soudain de lui, et il ne put se reprendre à temps. Une lumière noire, qui semblait aspirer toute les autres, irradia à partir de lui. Incapable de contrôler l'afflux, il se sentit fléchir, sa conscience submergé par autre chose. La noirceur commença à déborder de son corps et souiller l'eau cristalline...

La neige cessa alors de tomber et l'eau devint bientôt noir charbon. La sensation de paix avait complètement quitté ce lieu. Il n'y avait plus qu'Aesir se débattant contre les ténèbres dans son bassin dont l'eau était soudainement devenue glaciale. Néanmoins une fine perle de lumière argentée apparut bientôt au dessus du bassin. Elle grandit, encore et encore jusqu'à devenir aveuglante. Une énergie magique d'une puissance incommensurable s'en dégageait. 

"N'ai crainte..."

L'orbe éblouissant sembla exploser recouvrant toute la zone d'une douce et parfaite lumière argentée. Plus aucune ombre. Les ténèbres avaient disparues à des kilomètres à la ronde. Néanmoins, elle n'était pas agressive... Elle avait simplement chassé la nuit. Lorsque Aesir rouvrit ses yeux, il eut un hoquet de surprise en constatant l'anormale couleur de sa peau. Sa chaire était redevenu celle d'un humain et ses griffes avaient simplement disparues. L'orbe continuait de briller paisiblement. La neige avait recommencé à tomber calmement et l'eau avait retrouvé sa température normale.

"Je ne te veux aucun mal..."

La voix féminine qui semblait en sortir était particulièrement douce et maternelle. Tout en elle inspirait la confiance... De plus l'étrange sensation de d'être en paix revint hanter Aesir...

La voix sort de l'orbe. Mais... les ombres ? Plus aucune ombre, la lumière vient de partout à la fois. Mes griffes ont disparus, ma peaux est de nouveau claire... Que se passe t-il ? Je serais de nouveau... Un simple humain ? Je m'extirpe de cette paix surnaturelle, et je prend la parole.

- Qui êtes vous ? Et que m'avez vous fait ?

Avant qu'Aesir n'ait pu obtenir sa réponse, une lame d'une noirceur parfaite transperça l'orbe de part en part. Une forme de cri distordu féminin retentit alors et le monde de lumière ne tarda pas à s'effondrer à la manière d'un miroir. Les couleurs normales réapparurent, le guerrier retrouvant sa peau noire et ses griffes effilées. A peine avait-il eu le temps de comprendre ce qu'il venait de se passer qu'une imposante figure sombre encapuchonnée vint se placer à quelques mètres devant lui. Vêtu de noir de la tête au pieds, l'homme, ce devait être un homme au vu de sa carrure, possédait une armure en argent noir au motifs complexes et délicats. Il tenait une épée particulièrement lourde et sombre dans la main droite. L'orbe argenté était toujours empalée à la moitié et vibrait légèrement déversant une forme de fine brume dans le bassin... L'inconnu se contenta de fixer Aesir droit dans les yeux.

Je sort immédiatement de l'eau et reste vigilant. Cet homme... Il n'est pas un guerrier ordinaire. Son attitude, son équipement le clame. L’obscurité totale, la seule couleur qu'il laisse voir, ne laisse pas non plus de doute sur sa possible nature.

Je ne pense pas être de taille. Impossible d'en être sûr, mais même si mon instinct me hurle de me battre, la force qui lui a permis de transpercer un objet possédant un tel pouvoir est juste effrayante.

- Que me veux tu ?

J'ignore son dessein, mais le regard qu'il me jette semble sans équivoque. C'est après moi qu'il semble en avoir.

Pour seule réponse, l'homme leva la main tenant son épée et en montra le dos. Une marque blanche circulaire semblable à celle d'Aesir s'y trouvait. Il n'ajouta rien, et, une fois assuré que le guerrier avait correctement discerné le symbole, il baissa le bras. D'un mouvement du poignet, il envoya l'orbe argenté dans l'eau. La neige cessa de tomber et l'eau du bassin retrouva sa température normale...

Sa marque... Elle n'est pas exactement comme la mienne. En revanche elle indique clairement son identité. Je regarde autour de moi, sentant mourir la magie bienfaisante qui régnait un instant auparavant. Étrangement, cela ne me fait pas grand chose. Je regarde ma marque d'un regard, notant les différences entre la sienne et la mienne. J'incline légèrement la tête et recule. Je ne cherche pas le combat, encore moins maintenant qu'auparavant. Et je ne doute pas de sa supériorité sur moi dans un tel cas de figure. Une question se présente néanmoins dans mon esprit. Quel est celui à qui il est lié ?

Tous deux continuèrent de se faire face en silence. Aesir cligna des yeux et au moment où il les rouvrit, l'inconnu avait réapparu à moins d'un mètre à coté de lui. Il lui tendait simplement ses habits d'une main, gardant son épée dans l'autre. Même en essayant, Aesir fut incapable de percevoir ce qui pouvait bien se cacher en dessous de sa capuche. Il n'y avait que les ténèbres, l'obscurité parfaite.

J'avais tout simplement oublié ma nudité. Je prend mes vêtement et je les enfile rapidement, avant de fixer de nouveau l'homme qui me fait face. Je ne peux voir ce qui se cache dans les ténèbres de ce capuchon, mais qu'importe. Un homme, ou qui que ce soit de cette envergure, c'est rare à rencontrer, et encore plus rare à rencontrer sans combattre. Pas comme le spectre... Une question peut-être inappropriée à l'instant; mais sans doute pertinente : Pourquoi le spectre de la forêt est-il toujours ici ? A t-il été oublié, ou bien serait-il si dangereux que même un homme comme celui là ne puisse abattre ? La question mériterait d'être creusée.

Je vais partir maintenant. J'ai trouvé ce que je cherchais dans ce lieu, même si il a bien failli me détruire. Je ressens toujours en moi cette pulsion familière. Même si je suis maudit par ce pouvoir, il a fait de moi ce que je suis, et je refuse de redevenir ce que j'étais auparavant. Même si cela m'apporterais la paix ou le calme qui me manque, je refuse d'y renoncer.

J'incline de nouveau la tête, en signe de respect cette fois, la main portant mon symbole sur le cœur, et cette fois la curiosité devient plus forte, et je pose la question.

- Qui est celui auquel tu est lié ?

L'inconnu ne répondit pas. Immobile, il continuait de fixer Aesir en silence. A nouveau, le guerrier ferma les yeux une fraction de seconde et il réapparu à quelques centimètres de lui ce qui poussa le guerrier à reculer d'un pas de surprise. D'un seul mouvement rapide l'individu se saisit de la main et l'observa un bref instant. Sa vitesse était surnaturelle, même au-delà de ça, et sa poigne ne souffrait pas d'être résisté. Dès qu'il eut terminé, il rendit sa liberté à Aesir. 

"Yrys..."

Sa voix n'avait rien d'humaine, elle résonnait comme un écho lointain et puissant. Il disparu presque immédiatement après sa remarque pour réapparaître une dizaine de mètres plus loin, de dos cette fois. Il avait rengainé son épée et attendait simplement.

"Ton festin approche... Si tu souhaites apprendre, viens me trouver."

Après la fin de sa phrase, il cessa d'être là... Tout simplement. Son aura se dissipa peu à peu, bientôt Aesir se sentit à nouveau seul.

Mon... Festin ? Une étrange faim que je ressens depuis quelque temps, qui ne part pas lorsque je mange. Ma fonction... Dévorer des âmes. Oui, ce doit être de cela qu'il parle. Je souris amèrement. Un mentor comme celui ci est exactement ce qui ferait fuir la plupart des "apprentis". Mais il à exactement la tête de l'emploi. Et puis, être guidé ne fait pas de mal, lorsqu'on ne sait pas ou aller. Je jette un dernier regard à ce lieu redevenu comme les autres, avant de m’éclipser vers le camps.

Un peu plus loin dans la forêt, le mystérieux épéiste réapparu et s'adossa contre un arbre. Il resta ainsi un long moment, sans prononcer le moindre son. une voix féminine se fit entendre depuis le haut du pilier végétal. 

"Alors ? Hum ? Accepterait-il de se joindre à nous ?"

Le guerrier ne répondit rien. Il se contenta de replier sa jambe et de baisser la tête. Difficile de dire s'il était pensif ou s'il s'agissait d'autre chose. Une fine brume pourpre envahit l'endroit, se condensant sur une l'une des branches. Bientôt elle prit la forme d'une silhouette humaine et peu à peu les contours s'affinèrent. En quelques secondes, la fumée rouge avait fait place à une élégante jeune femme. Assise les jambes croisées, elle possédait une excessivement longue chevelure couleur noisette. Sa longue robe décolletée rouge sang mettait en avant ses formes et dévoilant partiellement le bas de ses gracieuses jambes. De fines chaussures à talon haut de la même couleur venait compléter sa tenue. Elle déplia rapidement un éventail aux bordures argentée, dont la surface semblait avoir été arrachée à un miroir aux doux éclats rougeoyants, et commença à se rafraîchir avec. L'épéiste en noir releva la tête et contempla la forêt devant lui.

"Trop jeune.

La mystérieuse jeune femme masqua un léger rire derrière son éventail et reprit la parole après s'être balancé un instant.

-Oh allons... Si nous le laissons avec Yrys trop longtemps, il finira par devenir incontrôlable. Il est plutôt beau garçon dans son genre, ce serait vraiment dommage d'avoir à... le laisser partir.
-Il fera le bon choix.

Elle bascula la tête en arrière et se passa la main dans les cheveux. Son visage n'affichait pas vraiment la pleine conviction. 

-Tu es bien confiant. Il n'est que le chien du garçon. Je suis certaine qu'il se sent obligé de rester dans son camp à cause des pouvoirs qu'il lui a donné.

L'épéiste se redressa et cessa simplement d'être là, comme soudainement effacé du paysage.

-Les chiens mordent parfois."