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- Le Temps ...?
Il descendit de la branche, regagnant avec agilité les herbes hautes qui se trouvaient en bas. Le sol avait été fortement refroidit par la faible lueur lunaire qui illuminait pourtant ce lieu bien plus qu'elle ne le devrait. Encore légèrement mouillées par une fine pluie qui s'était abattue entre temps, les plantes manquèrent de faire frissonner le jeune homme qui avait désormais tout d'un humain, et dont les pieds nus enduraient les bourrasques glacées du soir.
Sans queues, le Renard n'avait rien d'un esprit. Un simple homme dont les cheveux blancs étaient un mystère. Un être illusoire au passé perdu.
Il s'avança de quelques pas encore avant de se retourner vers le draco-mage. La lune se levait à peine, parfaitement dans le dos de l'être millénaire. Sa silhouette ressemblait maintenant à une simple ombre dont la forme vibra bientôt. La lumière lunaire se tordit, prenant la forme d'une longue touffe de poil allongée, se balançant calmement de droite à gauche.
- Cent ans.
Une seconde fois, l'astre blanc se tordit et prit forme en une seconde queue. Une petite rafale souffla, écartant les herbes autour du renard qui reprenait forme progressivement.
- Trois cent ans.
Les deux extensions dessinèrent des vagues durant un court instant avant de fusionner puis se séparer à nouveau. Une troisième était apparue, tout aussi blanche que les précédentes.
- Six cent ans.
Une dernière fois, il agita ses queues qui virent se courber dans son dos. Il ouvra les bras, comme prêt à serrer quelque chose. Son corps entier devint une lumière éblouissante, réchauffant l'endroit d'une douce chaleur tandis qu'un rayon blanc s'élevait du sol jusqu'à percer les nuages nocturnes.
- Neuf cent ans.
Ayant récupéré tous les attributs qui faisaient de lui un esprit, il laissa ses bras retomber le long de son corps et leva la tête vers les étoiles.
Il connaissait ce pouvoir. Il connaissait son évolution. Il en savait même les apparitions, et son passé restait pourtant vide. Sa vie ne touchait qu'à son début, quand bien même était-elle si avancée.
- Je n'ai probablement jamais eu l'occasion de songer au temps, étant un esprit. C'est une chose qui ne m'atteint presque pas... Ou plutôt n'ai-je rien encore vécu que le Temps m'ait arraché.
Il commença à marcher vers l'arbre, d'un pas lent et calme.
- Regarde moi, Veheniem. Je fêterais mes mile ans un jour, et pourtant je sens que je ne suis encore qu'un enfant pour ceux de ma race. Je ne sais où ils sont, ni qui ils sont, ou plutôt je l'ai oublié. J'ai juste cette conviction, peut-être naturelle, que je n'en suis qu'au début... Mais en ce monde, c'est ce qui fait de moi un monstre.
J'ai croisé des voyageurs adolescents. Je les ai revus lorsqu'ils trinquaient, fiers de leur entrée dans la quarantaine, leurs rides apparaissant petit à petit, les signes de vieillesse s'emparant de leur corps entier pour les réduire à parfois abandonner leurs voyages alors que mon corps n'avait pas changé. Je ne suis pas un humain éphémère.
Sautant finalement sur la branche, se posant avec agilité sur celle-ci sans même la faire trembler, il prit place à nouveau proche du mage.
- Même ce camp... Tous ceux qui y vivent. Ils partiront bien avant moi. Cette éternité n'est pas un cadeau, mais j'ai du mal à la voir comme une malédiction.
Il tendit sa main droite vers son compagnon d'un geste simple, le regardant avec un air mélange de sérénité et de peine. Un amer goût de doute résonnait encore dans ses pensées : la tristesse de la perte d'un être. Une peine qu'il n'avait connue, et que sa vie allait pousser à expérimenter de nombreuses fois. Une volonté pourtant restait figée en lui.
Quand bien même devait-il être un vagabond solitaire, la route qu'il tracerait serait celle qu'il aura choisie. Un fardeau est un lourd bagage, mais un jour peut-être pourrait-il utiliser son passé comme un guide vers un idéal qu'il se forgeait encore avec difficulté. Probablement voulait-il simplement aider les autres. S'aider lui-même...
Ou être accompagné sur ce long chemin.
- Que dirais-tu de faire un bout de chemin avec moi ? Jusqu'au prochain virage peut-être, ou jusqu'à ce que le Temps nous sépare. Même si nous n'en voyons jamais la fin, je veux que nous puissions partir un jour, ne regrettant pas le départ mais l'acceptant comme un vieil ami.