Un jour s'était écoulé depuis le retour d'Aesir de la zone négative. Depuis qu'il était rentré, il avait espéré parler au plus vite avec le jeune Yrys néanmoins le sommeil semblait le fuir. Peut être était-ce à cause de l'activation de sa marque... Une sorte de contre-coup sans doute. Les derniers événement le poussaient néanmoins à souhaiter revoir son ami dans son royaume onirique. Seulement son corps refusait obstinément de s'endormir et comme chacun le savait, plus on désirait s'endormir de force, moins on y arrivait.

Installé dans son arbre, Aesir fixait la voûte céleste étoilée. La nuit était tombée depuis plusieurs heures et tous les villageois étaient rentrés chez eux... Le calme parfait était tombé sur le camp, seules quelques lueurs provenant des tours de guet en ruine et des lanternes des gardes en patrouille illuminaient encore l'obscurité... Si le guerrier ne parvenait pas à s'endormir, cela risquait d'être une très longue nuit.

Quelle ironie... j'ai parfois souhaité ne pas dormir, mais c'est la première fois que le sommeil me fuit alors que je le cherche. Je soupire. Tant de choses se sont passées, et trop d'entre elles échappent à ma compréhension. Et puis, je me sens vraiment seul...

La marque sur sa main se mit à briller faiblement et une douce sensation lui traversa le bras. Yrys semblait lui demander de venir jouer avec lui. Après tout, Aesir lui avait promis qu'il reviendrait... Sûrement l'attendait-il depuis tout ce temps, où peut être avait il toujours été dans ses rêves sans qu'il ne s'en souvienne... Impossible de le savoir... Néanmoins, plus il y pensait et plus il se sentait apaisé.

"Viens jouer avec moi..." 

La douce voix d'Yrys résonna dans sa tête. Cela n'avait rien de désagréable ou d'effrayant, c'était... enivrant d'une certaine façon.

Je me laisse porter par cette sensation, bercer par cet enivrant pouvoir. Je vais le revoir. Je me demande néanmoins si je vais, cette fois ci, parvenir à saisir l'instant entre l'éveil et le sommeil...

La marque continua de diffuser une douce chaleur dans son corps. Peu à peu, son esprit s'enfonça dans les ténèbres insondables du sommeil. La nuit l'enveloppa... Un unique son continuait de résonner dans sa tête, un faible battement provenant de sa marque, comme un second et minuscule cœur... Il s'écoula une éternité ou une seconde. Lorsque Aesir émergea, il faisait jour. L'aube se levait à peine sur le camp et quelques oiseaux gazouillaient tranquillement au dessus de sa tête.

L'aube... Un soleil et des oiseaux. J'ai l'impression que ou que je soit, c'est toujours la même chose. Je me lève sur ma branche et regarde les environs. Je me demande ou se trouve Yrys... Enfin, vu le pouvoir total qu'il possède dans les rêves, il pourrait se trouver assis à côté de moi sans que je ne puisse le remarquer...

Après quelques secondes, son regard fut attiré par quelque chose d'étrange à l'ouest du village. Une sorte d'imposant bâtiment circulaire était apparu, et Aesir était certain qu'il n'avait jamais été là auparavant. Il était particulièrement imposant et une foule considérable semblait se diriger dans sa direction. A n'en pas douter, il s'agissait d'une création d'Yrys. C'était du moins plus crédible que de penser que les villageois l'avaient bâti en une nuit.

Ça c'est intéressant. Je saute de l'arbre, me réceptionne d'une roulade et me dirige au pas de course vers l'immense bâtiment. Je me demande ce que je vais trouver dans ce bâtiment. Yrys sans doute, mais j'ignore quoi d'autres... Qui sait ce qu'il a pu préparer à mon intention, surtout si il veut jouer. Son unique jeux que j'ai connu ne correspondant pas vraiment à la définition que la plupart des gens s'en font, j'ignore à quoi m'attendre.

Plus il s'approchait, plus l’édifice lui semblait imposant. En réalité, il paraissait grandir et se magnifier au fur et à mesure que l'intérêt d'Aesir pour lui grandissait. Parfaitement circulaire et haut d'une trentaine de mètre, l'imposant bâtiment de pierre rayonnait de majesté et de puissance. De nombreuses statues décorait les espaces laissés libres dans les hauts murs couleur craie. Un grand nombre de larges portes en bois, hautes de plusieurs dizaines de mètres, se dressaient tout autour de la structure, autorisant la foule à entrer sans difficulté ni attente malgré le nombre. Les bavardages incessant des gens autour du guerrier laissait imaginer l'improbable excitation que tous avaient pour les "Jeux"...

Les "Jeux"... On dirait que quelque chose se prépare. Je me demande si je pourrais en apprendre plus. Non, en fait je me demande si je ne vais pas participer. Étant donné que il y a peu de doute sur l'identité de la personne qui a organisé tout cela, je pense que ce sera très intéressant. Je ne vais pas le décevoir en refusant de jouer. Je me dirige vers les portes, et entre dans le bâtiment.

Choisissant au hasard une des portes, Aesir entre à l'intérieur du bâtiment. L'endroit était entièrement pavé et d'imposantes colonnades d'ivoire décorait l'unique long couloir cerclant le bâtiment. Des dizaines de petits commerces y étaient installés, tous plus colorés les uns que les autres, vendant friandises sucrées, babioles diverses et boissons alcoolisées à foison... L'ambiance était particulièrement enjouée et animée. L'excitation était plus que palpable mais d'une bonne façon... Tous ceux présents se réjouissaient visiblement de ce qui allait suivre. Aesir croisa plusieurs personnes qu'il connaissait mais ces derniers ne semblaient pas le voir et restaient sourd à ses tentatives pour communiquer...

En progressant encore davantage, il tomba dans une large salle blanche où aucun autre visiteur n'était présent. Il n'y avait absolument rien à l'intérieur. Rien à part le jeune garçon au cheveux blanc neige en bataille qui se tenait tout souriant au centre de celle-ci. Yrys rayonnait de joie, visiblement particulièrement heureux de revoir le guerrier...

Yrys ! Il semble vraiment radieux. Moi aussi je suis ravi de le voir, et un sourire fleurit sur mes lèvres pourpres. Je m'avance vers lui et met un genoux à terre, préférant lui parler en étant à la même hauteur que lui. Il n'a pas changé. Toujours ce même habit et ces cheveux blanc, dont je remarque maintenant qu'ils sont du même blanc que les miens, même si les siens ont l'éclat de la neige sous le soleil.

- Bonjour Yrys... Je suis heureux de te revoir. Je suppose que ce sont tes Jeux qui passionnent autant ? Je me demandais justement comment y participer.

Cet immense bâtiment n'est qu'une fraction de ce dont est capable Yrys, d'après ce que j'ai vu la dernière fois. La seule limite qu'il doit posséder dans l'élaboration de ses jeux doit être son imagination. Quel pouvoir.

En effet, Yrys exultait littéralement de joie. C'était sans doute le fait de revoir Aesir... Ou peut être plutôt le fait de savoir qu'Aesir ne lui avait pas menti comme les autres, qui le rendait pratiquement euphorique. Difficile d'imaginer ce à quoi il pouvait pensé, néanmoins il semblait ravi et cela suffisait au guerrier. Le garçon s'approcha de lui en ouvrant largement les bras pour désigner ce qui l'entourait.

-Je suis si content que tu sois revenu ! J'ai préparé tout ça pour qu'on joue ensemble... Si tu n'y participait pas ça n'aurait pas trop de sens.

Il pointa alors du doigt un passage un peu obscur derrière lui en élargissant son sourire. 


-C'est un super jeu ! Les règles sont super simples, tu vas voir !


Il trépignait visiblement d'impatience, signe qu'il préférait largement commencer sans expliquer quoique ce soit.

Je suppose que je n'ai pas le choix. Il semble presque sauter sur place tant il est excité. Je me relève avant de marcher vers l'ouverture qu'il m'a désigné. Juste d'avant d'y entrer, je m'arrête.

- Yrys... Nous pourrons discuter tout les deux ? J'ai tant de choses à te dire... Une fois que nous auront joués.

Le garçon n'écouta qu'à moitié et accéléra le pas. Prenant de l'avance, il finit par disparaître aux yeux d'Aesir, comme englouti par les ténèbres. En continuant de le suivre, le guerrier finit par émerger dans une petite salle circulaire. Presque plongée dans la complète obscurité, l'endroit empestait une odeur bien connu du guerrier, une odeur de sang. Avançant bien plus prudemment, il glissa sur le sol humide et dévala sur le dos une légère pente durant quelques secondes avant de tomber dans un roulé-boulé confus un peu plus bas. Un bruit de chaînes rouillées et un vague balancement lui indiquèrent qu'il se trouvait dans une sorte de cage suspendue dans les airs... A quelle hauteur ou à quelle distance d'un mur, impossible de le savoir, les ténèbres parfaites l'entourant où qu'il regarde...

On dirait que le jeu a commencé... L'odeur de sang, si présente, m'assure en tout cas qu'il y a du danger. Je tâte pour trouver les limites de ce qui semble être une cage suspendue et tend l'oreille. Dans une telle obscurité, la vue n'a presque aucune importance.

Au bout d'une minute environ, la cage se mit à descendre. De légers grincements indiquait que la chaîne tenant la prison d'Aesir descendait lentement vers les abysses. Un liquide finit par atteindre ses chevilles, remontant lentement à mesure que la cage descendait. Il lui arriva bientôt à la taille, continuant de monter inexorablement. L'odeur de sang se faisait de plus en plus forte... Malgré l'obscurité, le liquide dans lequel Aesir s’apprêtait à se noyer était devenu clairement identifiable...

Du sang... Et qui monte encore et encore. J'en ai presque jusqu'au cou. L'odeur métallique envahit mes narines plus encore qu'avant. Je tente de remonter vers le haut, refusant de me noyer dans cette marée écarlate, utilisant les parois de la cage pour remonter. Même si je dois être immergé, autant garder un maximum de souffle, et retarder l'échéance... Je refuse de mourir ainsi, en rêve ou ailleurs.

Le sang continue de monter encore et encore. Malgré les efforts du guerrier, il se retrouva bientôt entièrement immergé, se débattant comme il pouvait contre les barreaux rouillés de sa cage, sans succès. Manquant d'air, il finit par cesser de se débattre. Sa marque refusa de l'aider. L'absence d'oxygène appuyait si fortement sur ses poumons, son réflexe vital le poussant à inspirer malgré tout... C'est alors que le bas de la cage s'ouvrit largement. Un violent courant aspira alors le guerrier dans les profondeurs. Après un temps interminable, Aesir émergea, tombant lourdement sur un sol métallique. De larges trous rectangulaires évacuèrent les litres de sang qui continuait de se déverser sur son dos. Comme si le mécanisme avait eu conscience du passage du guerrier, une plaque de métal referma le passage au dessus de lui. Le liquide rouge cessa d'affluer, ne laissant que quelques gouttes tombant sur le dos du guerrier, toussant afin d'évacuer le sang inspiré par inadvertance... 

L'endroit était entièrement métallique, rouillé. Une rivière de sang bouillonnant s'écoulait mollement non loin d'Aesir, un escalier crasseux et recouvert d’hémoglobine séchée se trouvant juste devant lui. De larges tuyaux d'acier noirci décoraient le reste de la salle, s'enfonçant et ressortant aléatoirement des murs.

Une descente dans les abimes...  Tant de sang, partout, sur mes mains, mes bras, mon corps, son odeur imprégnant tout... Je n'ai vu autant de sang qu'une seule fois... Le jour ou j'ai tué tout le monde...Ou puis je donc être ? L'atmosphère est sinistre... Une seule voie s'offre à moi... Je ne peux que m'y engager. Je tousse encore, et un peu de sang remonte, avant que je ne le ravale, ressentant pleinement le goût ferreux du liquide vital.

Le guerrier continua d'avancer, laissant s'écouler le liquide rouge le long de son corps. L’endroit baignait dans une mystérieuse luminosité ambiante malgré l'absence totale d'éclairage. L'absence d'obscurité rendait son avancée bien plus aisée. Toutefois, voir n'était peut être pas une bonne chose... Les murs suintait d'un liquide marron à l'odeur épouvantable et possédaient une apparence étrange presque organique... En arrivant dans la pièce suivante, son regard se posa presque immédiatement sur une silhouette sombre encapuchonnée. A coté d'elle se trouvait Yrys, tout souriant. Ils ne semblèrent pas remarquer la présence du guerrier et continuèrent leur discussion.

"Montre lui ce qu'il doit voir et rien de plus... Nous n'avons pas besoin de cela en ce moment...

La voix de l'inconnu était incroyablement sombre et imposante. Il s'agissait d'un homme à n'en pas douter... S'il était humain du moins.

-Ne t'en fais pas, nous ne faisons que jouer.
-Essayes de faire durer celui-ci. Il pourrait nous être utile plus tard.

Yrys s'indigna et serra ses petits poings faisant vaciller le monde autour de lui.

-Je sais ce que je fais. En plus, il est gentil ! Il n'est pas comme tous ceux que tu me donnes !

L'homme en noir haussa les épaules et s'effaça dans les ténèbres jusqu'à cesser d'être là...

Ils parlaient de moi ? Sans doute. Mais qui était cet homme ? Rien que d'entendre sa voix m'a donné l'impression d'être écrasé. Un membre de la famille d'Yrys, à ne pas douter. Ils sont tous aussi puissant que ça ? Il a parlé "d'être utile"... Ce gars peut aller se baigner dans le lac d'acide si il s'imagine que je vais jouer au bon toutou. Yrys a parlé d'autres, que cet homme lui aurait "donné"... D'autres gens ? Le faire durer ? Je me remémore le garçon, la première fois que je l'ai vu, puissant et cruel. Il aurait très bien pu les tuer. Il en est capable, pour s'amuser ou par colère, dans ces rêves ou il est le maître. Mais l'entendre dire qu'il m'apprécie me réchauffe un peu. Mais indiscutablement, je ne comprend pas totalement Yrys. Il est étranger, d'une certaine manière, au delà, de ce que je peux appréhender. Mais... Si il manifeste ce sentiment envers moi, je ne peux pas gâcher ça par doute. Je ne le veux pas. J'avance dans la pièce, et me place à genoux pour parler à Yrys en face.

- Yrys, qui était cette personne ?

Le garçon se retourna en élargissant son sourire en voyant son ami couvert de sang.

-Tu es là. Grand-frère a du partir. Ne t'en fais pas pour ce qu'il a dit. Il est toujours bizarre... Mais il n'est pas méchant.

Cette notion semblait toute relative pour quelqu'un qui exultait de bonheur en forçant les autres créatures vivantes à se battre entre elles.

- Tu a une famille vraiment très spéciale...

Un souvenir revient soudain. La fille de la zone morte.

- Tu n'aurais pas une sœur par hasard ? J'ai croisé une fille qui t'a mentionné, dans le monde réel. Elle a l'air d'avoir une quinzaine d'années, de longs cheveux noirs couvert de nœuds rouge et blanc, et une peluche avec un boulet attaché à la patte...

Yrys pencha la tête un instant comme pour réfléchir.

-Tu as vu Hannah ? Tu es vraiment chanceux pour un mortel... 

Il retrouva vite son air serein normal et sortit d'une des poches de son manteau, une clé en os doré qu'il jeta au guerrier.

-Allez continuons ! 

Il s'en fut dans un passage derrière lui en courant et en riant légèrement...