Je suis encore plus surpris en imaginant ce que signifie sa phrase. J'imaginais un peu naïvement que son pouvoir n'avait pas vraiment de limites. Une leçon de plus d'une certaine manière, il y a toujours des limites. Aussi, le temps existe donc vraiment dans ce monde de rêve. Je souris moi aussi à présent, prouvant que le sourire d'Yrys est vraiment quelque chose de contagieux.

- Je rêve donc depuis vraiment longtemps... Si ça ne te pose pas de problème de prolonger plus longtemps ce rêve, je pourrais te demander quelque chose ?

J'espère ne pas abuser de son temps non plus. Il semble bizarrement moins énergique sous cette apparence qu'en tant qu'enfant, et c'est peut-être une impression, mais je ne veux pas la tester.

Le vieil Yrys ouvrit largement les bras et l'univers étoilé fit place à un monde blanc infini. Aesir cessa de flotter et put se tenir de bout sur un sol se confondant avec l'horizon et le ciel. 

"Je pourrais te faire rêver pour des siècles encore..."

Il se passa la main dans les cheveux et finit par se gratter l'arrière du crâne en détournant le regard, un peu piteusement. Il reprit sur un ton bien plus bas comme pour faire une correction qu'Aesir ne devait pas entendre.

"Néanmoins je doute que tu resterais parfaitement sain d'esprit..."

Que cela vienne de sa voix ou de sa façon de parler, il était clair que le jeune garçon avait disparu. Il était bien plus mature et sage que le Yrys que le guerrier avait en tête. Difficile d'estimer son âge à vu d’œil, néanmoins une impression tenace laissait penser qu'il avait bien plus qu'une centaine d'année.

Apparemment, c'est oui. Yrys... Parviendrais-je un jour à te comprendre entièrement ?

- J'ai plusieurs choses à demander en fait.

J'humecte mes lèvres. Je ne sais pas vraiment par ou commencer. Ah, si.

- Lorsque j'ai mis l'anneau, j'ai eu une vision. Une vision accompagné de ces mots : Ulosis Era Lent Ka.

La vision en question s'affiche clairement dans ma tête au moment ou je parle. Étrangement, il me suffit d'y penser pour qu'elle m'apparaisse, aussi nettement que lorsque l'anneau me l'a montré. La beauté de la jeune femme me fascine toujours, de même que le jeune garçon à ses côtés...

Yrys perdit peu à peu son sourire et ferma les yeux un instant. Cela ne semblait pas être un sujet sur lequel il aimait s'exprimer.

"Tout d’abord... tu dois savoir une chose. Les miens et moi même existons depuis si longtemps que les mortels ont cessé de se souvenir de notre existence." 

Le monde devint grisâtre et commença à se tordre lentement afin de sculpter une sorte de paysage. Difficile de dire de quoi il s'agissait pour le moment, néanmoins le vieil homme continua sans y prêter attention. 

"Nous sommes au nombre de cinq. Mon père... et mes autres frères et sœurs... Nous sommes tous les représentant d'un aspect de la mort. Dans ton monde nous n'avons qu'une puissance limitée c'est pour cette raison que nous agissons dans nos sphères respectives..."

Il s'arrêta un moment pour essayer de formuler la chose.

J'écoute, attentif. Cinq donc dans cette famille. Yrys, son grand frère, sa soeur Hannah, son père, et un dernier qui m'est inconnu. Chacun qui représente un aspect de la mort. Je me demande bien lequel représente Yrys. Celui des conflits peut-être ? Je ne l'interrompt pas, mais je note en revanche le lent changement du paysage. Je crois avoir compris que ce paysage représente d'une certaine manière, lorsqu'il ne le contrôle pas, son état d'esprit ou ce qu'il pense. Vu sa mine, je l'ai forcé à se remémorer quelque chose de dur...

"Je suis la Guerre. J'incarne l'ensemble des conflits destinés à causer la mort. La guerre entre les créatures vivantes, la guerre contre soi même... Cette fille que tu as combattu, Hannah... Elle est... Du moins elle ne fait plus partie de notre groupe."

Il prit un air désolé et une fine bruine se mit à tomber des cieux invisibles. Le monde se transformant peu à peu en une sorte de marécage fleuri. 

"Elle s'en est pris à toi à cause de ma marque. Elle a une certaine rancœur envers le reste de la famille."

Il s'arrêta à nouveau de parler et le paysage se stabilisa sur cette image. 

"Je suis désolé."

- Ce n'est pas grave.

Je comprend un peu mieux. Un problème de famille. C'est souvent les plus difficiles. Je comprend que ce soit dur pour lui d'en parler. Mais...

- Et que signifie alors Ulosis Era Lent Ka ? Si c'est trop douloureux dis le moi, je peux survivre sans savoir ça.

Yrys, un peu surpris, finit par retrouver son sourire derrière sa barbe et haussa les épaules.

"Il s'agit d'un antique dialecte. C'était le mien, il y a bien longtemps.  Ulosis Era Lent Ka... Hum... "Vivre c'est accepter la mort". Il s'agit d'un concept que mon père apprécie particulièrement."

Il s'arrêta de parler et se retourna un instant, certainement pour ne pas à avoir à regarder son interlocuteur dans les yeux. 

"Aesir. J'aimerai... Si tu le souhaites, bien sûr... faire de toi mon champion."

Il se mit à basculer d'avant en arrière sur la pointe des pieds, signe d'une certaine forme d’appréhension et d'inquiétude...

La proposition me prend au dépourvu.

- Que signifie devenir ton champion ?

Je ne comprend qu'a peine le concept. Une explication ne serait pas de trop...

Yrys baissa la tête pensivement mais ne se retourna pas pour autant. Difficile de dire s'il avait honte, était excité ou avait juste peur d'essuyer un refus.

"Je ne peux être partout. Mon devoir est néanmoins d'être sur les camps de batailles et de collecter les âmes de ceux tombés au combat. Je ne peux t'expliquer pourquoi ces âmes me sont nécessaires, cela prendrait des dizaines années tant la chose est complexe."

Il s'arrêta un instant et repris sur un ton plus solennel et en relevant la tête. Son ton imposant et millénaire mit un terme brusque au calme joyeux qui s'était instauré quelques minutes auparavant.

"Je veux que tu te battes en mon nom et prenne la vie de mortels belliqueux, des mortels qui ont frôlé la mort nombre de fois et qui ont dérobé bien davantage de vies. C'est cela être mon champion. Être le champion de la mort n'est pas une chose aisée. Tu n'es en rien obligé d'accepter, néanmoins sache que tu fais parti de cette catégorie. Quelque soit ton choix, nous nous reverrons."

Il se calma et se retourna vers Aesir avec un visage neutre. Il n'était pas particulièrement menaçant, juste... Il disait simplement vrai.

Si il représente la guerre, alors il prend son tribut de ceux tombés au combat. Je serais prêt à accepter, mais par contre... Un point me dérange un peu.

- Si j'accepte, je deviendrais ton serviteur ?

L'intéressé se contenta de sourire silencieusement. Il ne répondit pas immédiatement mais finit par éclater de rire largement.

"Tu es prêt à prendre des vies en mon nom, à risquer la tienne pour collecter des âmes, simplement parce que je te le demande et ton unique question est celle-ci ?"

Il continua de rire un instant et, une fois calmé, il reprit la parole sur un ton cachant à peine sa joie.

"Je t'ai décrit ton rôle. Tu n'auras aucune autre tâche si cela est ta question. Notre relation ne changera pas non plus. Je me contenterai de t'indiquer des cibles, des adversaires de valeur pour la plupart et tu prendras leur vie. Libre à toi de refuser, bien sûr... Libre à toi de considérer cette position comme autre chose que ce qu'elle est réellement. La liberté c'est être capable de choisir, choisir de n'avoir aucune attache, choisir d'obtenir le pouvoir par tous le moyens, choisir de ne pas être entièrement libre également..."

- Alors j'accepte.

Risquer ma vie ? Je l'ai fais tant et tant de fois. Quand à affronter des adversaires puissants... Bien que j'ai compris que ma rage et ma frénésie de meurtre ne sont qu'amplifiées -Pas du !- à ma malédiction, je sais que j'aime ma battre. Et puis, je ne peux vivre sans lien, sans devenir une bête sauvage comme il y a si longtemps. Un lien n'est pas une chaîne. ça aussi, je l'ai appris.

- J'accepte sans remord. Je deviendrais ton champion.

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Le monde devint soudainement doré. Et tomba en poussière avant de s'envoler au dessus d'eux. Le nuage enveloppa bientôt Yrys et Aesir, tous deux englobés par ce phénomène merveilleux. De fins traits de lumières voletèrent autour d'eux, tout juste visibles, fuyant en un instant... La marque du guerrier se mit à briller faiblement et son bras se leva de lui même. 

"Je te fais don de la glyphe de la Bête, pour que jamais tu n'oublis ce que tu as appris ici, et je fais de toi mon champion, mon bras armé..."

Le nuage tourna de plus en plus vite, la luminosité s'en dégageant devenant de plus en plus éblouissante. C'est alors qu'un milliers de traits dorés fusèrent du corps du vieil homme pour venir entrelacer celui du guerrier. Rayonnant de lumière, Aesir sentit une douce chaleur l'envahir et une puissance infinie s'écouler en lui. Quelque chose transcenda son corps et imbiba son esprit, quelque chose de puissant, de bien plus puissant que sa marque... Après un instant, il put rouvrir les yeux et constata l'aura qui se dégageait de lui. Pratiquement entièrement fait de lumière, sa tenue changea lentement de forme, fusionnant avec le reste de son anatomie dans une harmonie fabuleuse. Transformé, transfiguré, Aesir n'était plus un simple mortel. Partiellement recouvert d'une fourrure dorée et noire, ses pieds légèrement déformés l'obligeait à se tenir sur la pointe pour rester debout. De logues griffes de lumières avaient remplacées les siennes, bien plus puissantes, bien plus dangereuses... Il sentait toute la calme puissance et la féroce agilité de son nouveau corps se propager en lui... Une fine brume blanche sortit de ses narines lorsqu'il expira finalement.

Je me sens tellement... Différent ! Plus encore qu'auparavant, je me sens détaché des humains. La toison noire et dorée recouvrait en grande partie mes jambes et mes bras, ainsi que mon torse, une partie du dos restant vierge de fourrure, dessinant des motifs par le jeu des couleurs. Mais aussi au niveau mental, un changement est net : Je me sens calme, le calme de la bête au repos, une force tranquille, qui se liait à la vigueur nouvelle de ce corps. Je ne pouvais le voie, mais mes yeux brillaient également d'un nouvel éclat, les iris étant devenue légèrement plus étroits. J'ai l'impression également que les choses autour de moi ont changé. Le monde est devenu plus brillant, les sons plus forts. Mes perceptions se sont accrus, et c'est à la fois étrange et exaltant. Je reste un instant à ressentir chaque chose, avant de dire à Yrys, la voix remplie d’émerveillement et de gratitude.

- C'est... Magnifique.

L'intéressé le remercia rapidement avant de prendre à nouveau son air sérieux. 

"Il faut que je te parle plus en détail de tes nouvelles capacités... Bien sûr, tu dois le ressentir en ce moment, tes sens sont grandement aiguisés. En outre ta puissance physique et ton agilité sont également améliorés grâce à l'influx magique qui parcourt tes muscles. Avec un peu de volonté tu devrai pouvoir faire apparaître tes ailes, mais cela consomme beaucoup d'énergie..."

Il se gratta rapidement le front comme si il peinait à se rappeler de quelque chose et acquiesça, plus pour lui même qu'autre chose.

"Oh oui... Cette forme seule te permettra de récolter les âmes des mourants. Tu devras la leur arracher avec tes griffes et uniquement avec elles. Une fois que tu t'en seras emparé, il ne te restera plus qu'à les avaler. C'est indolore et cela à quelque chose d'assez enivrant pour les mortels. En outre, le fait de les absorber te permet de t'accaparer une partie de leur puissance... Tu n'as pas à avoir peur d'une indigestion."

Il s'arrêta un instant pour jouer avec la pointe de sa barbe comme il l'avait fait quelques minutes auparavant. 

"En revanche, pour ce qui est de cet effet secondaire, je n'ai pu que l'atténuer. Tu devras faire avec le temps que je trouve une solution. Mon frère en saura peut être plus..."

- Tu m'a déjà beaucoup donné.

J'assimile les informations, et y réfléchis. Je ne m'étais pas trompé en me fiant à mes nouvelles sensations. Je suis donc bien plus puissant sous cette forme. Mais je ne pense pas que je pourrais rester ainsi en permanence... Ne serais ce que parce que ma malédiction entre en conflit avec le pouvoir d'Yrys.

Je me demande tout de même à quoi peut donc bien ressembler une âme. Le souvenir de ma rencontre avec le spectre de la forêt me fait un instant frissonner. Yrys rassemble les âmes tombés au combat. Pourquoi pas cet homme ? Mon instinct me souffle que peut-être au contraire, cet homme n'a jamais perdu la vie au combat.

Quand au problème de ma malédiction, qui à chaque fois que le pouvoir d'Yrys intervient les fait entrer en conflit, apparemment ce serait plus son frère qui pourrait avoir ce genre de pouvoir pour régler le problème. Mais en me rappelant l'impression qu'il m'avait donné, je ne serais pas joyeux de le revoir tout de suite.

Les mots me rentrent soudain en tête. Je pourrais donc faire apparaître mes ailes ? Je bondis presque en comprenant, mais je me retiens de justesse de sauter. Je suis enchanté néanmoins, débordant presque de gratitude.

Une dernière chose me revient à l'esprit. Quelque chose que j'aimerais savoir, une petit aiguillon qui me hante la tête.

- Je comprend. Lorsque je combattrais ceux que tu me désignera, je devrais les tuer sous cette forme. Mais j'ai une dernière question. Qui est cette femme magnifique que j'ai vu dans ma vision ? Et es ce toi qui se trouve à ses côté ?

Yrys d’abord surpris par par la question finit par détourner le regard. Il ne semblait pas à l'aise avec le sujet.

"Ce n'est personne. Personne d'important."

Les mots avaient été prononcés afin de mettre un terme à la conversation. Qui que soit cette femme, il ne désirait visiblement pas en parler.

"Il est tant pour toi de te réveiller et moi de me reposer..."

Son ton était las et avant qu'Aesir n'ait pu répondre. Un flash puissant envahit la zone. La lumière devint éclat dans les ténèbres et en rouvrant les yeux, Aesir était installé sur sa branche. Il était en sueur et sa tête semblait être prise dans un étau, conséquence de ce rêve bien trop long, bien trop éprouvant pour être naturel. Son regard se posa sur la marque sur sa main. Celle-ci avait évoluée, le tatouage grimpant maintenant le long de son bras pour atteindre le haut de l'épaule et s'enfoncer sur son pectoral droit. Elle brillait encore faiblement mais disparut bientôt sous sa peau noire et redevint le cercle runique simple qu'il connaissait...

Je me sens éreinté... Un véritable sommeil me fera le plus grand bien. je serre la main qui tient le symbole sur ma poitrine.

- Nous nous reverrons plus tard.